1998, je suis responsable de l’organisation des vacances pour les communautés Emmaüs de Bourgogne depuis 5 ans environs. Nous partons ainsi avec les gars et les femmes qui le souhaitent en vacances ; tantôt à Vesoul, Quimper, Colmar ou la région de Toulouse. Emmaüs a marqué considérablement ma vie, j’y ai passé plus de dix-sept années, parfois comme compagnon et d’autres comme quelqu’un qui est simplement là, dans le groupe. dix-sept ans, cela forge des amitiés. Très tôt en 1992 j’ai eu envie de rendre compte artistiquement de ces rencontres, de cette réalité humaine qui me semblait bien plus dense que les stéréotypes sociaux dans lesquels on enferme malgré eux les compagnons. Là où on parle communément de malheur, de tristesse, de fragilité, j’y ai rencontré des rires forts, une densité, un accueil. Je voulais trouver une forme artistique qui ferait ce pont entre mes engagements, mes plaisirs et la question sociale de l’identité perçue de celui qui n’a rien. Corriger ce manque d’humanité qu’il y a dans l’abréviation de l’autre. J’ai eu peine à trouver. En 1997, nous sommes en vacances dans une petite maison à Vesoul. L’appareil photographique jetable est de rigueur pour tous. Chaque rituel des vacances se finissait ainsi par le labo photo d’une grande surface et la vérification par l’image des plaisirs accomplis. J’ai fini dans ce principe de groupe hilare par agrémenter nos selfies de vacanciers par des poses que j’empruntais à ce que l’école des beaux-arts m’indiquait comme étant de l’art. Les gars se prirent très vite au jeu de « si j’étais dans une école d’art ». Leur plaisir m’encouragea à remettre cela l’année suivante. Collectionnant des chapeaux militaires que je glanais régulièrement sur le bric à brac d’Emmaüs, ils sont devenus autant de nouveaux accessoires de jeux pour nos poses héroïques. Avec mon jetable je faisais ainsi, sans le savoir, la première série de photographie de mon parcours artistique « la cabane ». Cette année-là j’avais un rendu à l’école et n’ayant rien fait, j’ai apporté ma petite pochette de photographie siglée « Magasin Carrefour pour le meilleur de vous-même » pensant combler ainsi astucieusement un vide scolaire. A ma plus grande surprise mes enseignants se forgèrent en deux groupes : le premier m’indiquait que ce n’était pas de l’art et que j’étais un fumiste (ce qui dans ma stratégie d’évitement du « rendu vide » leur donnait raison) le second groupe me déstabilisa. Je peux le remercier ici : Jean François Lacalmontie, Orlan, Patrick Raynaud, Eric Duyckaerst. Ils marquèrent tour à tour un réel intérêt pour ces images et on me renvoya avec intelligence aux Carabiniers de Godard. Sorti de l’école, ce plaisir dura jusqu’en 2008. Puis en contradiction avec la reconnaissance qui m’était faite de ce travail, j’ai décidé d’arrêter pour vivre sans prismes artistiques les amitiés simples, directes, que j’avais à partager.
J’ai cherché dans ces images, le portrait d’une jouissance de vivre, celle d’un petit groupe de vacanciers.
Harald Fernagu