Les Grands Inconnus

Nous sommes les héritiers de tous les corps qui nous ont précédés.

A qui sont ces corps de soldats posant en majesté dans de vieux cadres désuets ? Ces hommes qui, par la photographie, ont souhaités s’immortaliser avant leur départ au front. Des images posthumes, parfois grandiloquentes, où riches et pauvres posent de la même manière, héroïques. 100 ans plus tard, leur arrivée dans les barricades des bric à brac, des vides greniers, signe leur abdication. Leur propre famille rompt le travail de mémoire. Ces portraits défaits interrogent l’état de notre mémoire collective. Nous ne connaissons rien de la guerre, quand nous les regardons, point d’odeurs, si ce n’est celle du vieux bois, de la poussière. Spontanément, des sons, des mouvements résonnent en nous, semblent appartenir à ces images : ce sont ceux des films de cinéma qui dans leur ressemblance, nous divertissent d’explosions de mortier, de cris, de râles, de la fumée chaotique du champs de bataille devant notre fauteuil. Que peut une image documentaire face à notre cinémathèque ? Regarder ces portraits c’est voir autre chose que ce qu’ils représentent. L’individu est absent de son image. Le rejoindre demande un effort, d’en reconstruire l’histoire, le contexte. Qui plus est aujourd’hui, ces images sont des films que l’on ne regarde plus, passé de mode, ennuyeux, leurs mises en scènes sont désuètes.

Dans Les grands inconnus, j’ai eu envie de replacer ces hommes sur les murs, leur mur. J’ai travaillé par palimpseste sur les vitres de ces portraits pour ne pas les endommager. Ils disparaissent ainsi sous l’esthétique de dizaines de millier de coquillages collés sérés, peints en noir. De ces hommes on ne verra plus les visages. De l’un on ne verra les pieds, d’un autre une main tenant une cigarette etc. Seules les attitudes en uniforme de ces corps sans tête renseignent des personnages. Cette étrangeté n’appartient pas à notre cinéma, la curiosité, les questions peuvent revenir. Avec ce retour, ces hommes sont réhabilités. Force de fiction, d’une nouvelle esthétique, ramènent ici à nous l’image documentaire.

MEDIUM
Sculpture

TECHNIQUE

Technique mixte: photographies de poilus encadrées trouvées au puces, coquillages, peinture noire.

ANNÉE
2014 – 2018